Encre de Chine divers formats





ODASSO.ZOCKOR.NET

India

novembre 2016


Il fut un temps où j’habitais Dijon qui s’était équipé d’un tramway dernier cri que j’empruntais quotidiennement. Un beau jouet flambant neuf, propre, silencieux et... très mal conçu puisqu’il était assez difficile de stationner debout dans certaines allées dépourvues de barres de maintien. Moralité : tout le monde se regroupait à l’entrée ce qui occasionnait des embouteillages d’autant qu’un autre inconvénient se superposait : le dijonnais ne supporte pas la promiscuité... Jeunes, vieux, hommes, femmes, tous ou presque on une susceptibilité très affutée quant à leur espace vital et une représentation assez peu tolérante du concept de proxémie. Les approcher constitue une menace insupportable et les frôler une déclaration de guerre ! Dans ce contexte j’essayais tant bien que mal de me frayer un chemin chaque matin en défiant la règle implicite du "qui me touche m’agresse". Car les passagers avaient peu à peu élaboré une stratégie groupale et affichée visant par grosse affluence à bloquer les entrée en ne bougeant pas d’un pouce et en toisant l’intrus de regards désapprobateurs. Grâce à ça ils espèraient conserver une surface vitale d’environ 50 centimètres au moins autour d’eux ce qui aux heures de pointe constituait un luxe auquel ils n’entendaient pas déroger ! Pourtant à quelques mètres d’eux, dans les allées, il existait encore moultes places debout mais non pourvues de maintien ; elles étaient accessibles pour qui voulait bien se frotter, se faufiler et se tenir aux fauteuils. Ainsi donc chaque matin, tel Indiana Jones taillant la jungle je me frayait un chemin en douceur ou en force pour atteindre le graal de l’allée, m’appuyer entre deux fauteuils, prendre mes lunettes et attaquer ostensiblement la lecture d’un bouquin sous une vague de regards désaprobateurs et parfois de réflexions. Car il arrivait que les commentaires fusent et dans ce cas là il me restait l’arme fatale, la réponse qui casse autant que Brice qui est comme moi de Nice ou dans le tram c’est probablement pas mieux : "Vous ne savez pas vraiment ce que c’est que la foule, vous n’avez qu’à aller en Inde" (sous entendu : bande de nazes). Si j’en étais réduit à de telles extrémités ce n’est pas (que) pour faire le malin mais par souci de remettre un petit peu les pendules à l’heure (ou à leur place comme disait Johnny). Pour qui a voyagé en Inde l’idée qu’il peut se faire de la promiscuité est somme toute bien différente et à avoir vu des trains pris d’assaut dans une frénésie inconcevable, une anarchie totale, une absence totale de discipline et de respect de l’autre, pour avoir vu ce que peut donner le chacun pour soi à l’état le plus avancé...c’est peut être ça la vraie vie. A l’arrivée, en Inde et tant bien que mal tout le monde s’ajuste et à la fin trouve sa juste ou injuste place dans un carrousel de mouvement et d’effluves oh combien humains et attachants qui nous poussent dans nos limites mais nous rappellent notre condition humaine. Et si finalement ce bordel ambiant auquel nous ne comprenons pas grand chose était plus respectueux que nos habitudes policées et un peu fascistes sur les bords car à l’arrivée, en Inde, tout le monde est monté dans le train et personne n’est exclu ! Dès la raideur et l’intolérance dont nous faisons montre dans notre environnement clinique et aseptisé peut paraitre comme le symptôme de personnes désincarnées et coupées de la vrai vie, celle qui fait qu’on se frotte et qu’on se rencontre ! Oui Dijonnais, vous avez le tramway mesquin !